INVESTIGADORES
FERNANDEZ ALVAREZ maria ines
capítulos de libros
Título:
Politiser les « besoins matériels » : modalités d’engagement collectif en Argentine
Autor/es:
MARIA INES FERNANDEZ ALVAREZ
Libro:
Le pouvoir d'agir dans les centres sociaux Reconfigurations des engagements militants et professionnels,
Editorial:
Presses du Septentrion
Referencias:
Lugar: Lille; Año: 2023; p. 247 - 263
Resumen:
Ce chapitre s’appuie sur une série de réflexions issues de recherches que je développe depuis 2002 en Argentine autour d’un ensemble de processus d’organisation collective des classes populaires : usines « récupérées » par leurs travailleurs et travailleuses, coopératives et associations de ramasseurs et ramasseuses de déchets, et plus récemment vendeurs et vendeuses ambulantes1. Dans l’ensemble il s’agit d’organisations de base, formées à partir de la fin des années 1990 et du début des années 2000, par un secteur sans cesse croissant de la population exclue du marché de travail « formel », qui se trouve sans emploi et/ou gagne sa vie à travers des activités considérées comme « informelles » telles que la vente ambulante ou la récupération de déchets, pour mentionner les activités les plus répandues. Une population dont les conditions de vie sont devenues de plus en plus précaires du fait du déploiement de politiques d’ajustement introduites à partir des années 1970 et approfondies dans les années 1990. Bref, une population pour laquelle la résolution des enjeux économiques relatifs aux besoins matériels (alimentation, logement, santé, etc.) est devenue une base pour développer une série de pratiques et d’initiatives d’organisation collective. En effet, et au-delà des différences que l’on observe dans chaque cas, on peut dire de prime abord qu’il s’agit de processus d’organisation collective développés pour trouver des solutions aux « besoins matériels » : défendre la source de travail dans le cas des usines récupérées ; demander des financements publics en tant que chômeurs et chômeuses (années 2000) ou travailleurs et travailleuses de l’économie populaire (années 2010) ; lutter pour la reconnaissance de leur activité comme un travail, dans le cas des coopératives de ramasseurs et ramasseuses de déchets ou des vendeurs et vendeuses ambulantes. En même temps, ces organisations ont mis en place des initiatives collectives pour améliorer les conditions de vie de leurs membres et adressé de façon croissante des demandes à l’État pour avoir accès à la santé, à la sécurité sociale ou encore au logement. Il s’agit donc de processus d’organisation qui se sont construits sur la base d’une politisation croissante de différentes dimensions de la (re)production de la vie quotidienne en politisant les « besoins matériels ». Plus encore, ces expériences soulignent comment des pratiques et espaces qui font partie du quotidien et sont liés a priori à la résolution des « besoins primaires » (se nourrir, se loger, se soigner) – comme la mise en place d’une cantine communautaire, la distribution de jouets, l’organisation de journées solidaires pour obtenir des ressources économiques face à la nécessité d’une intervention médicale, la construction d’une maison ou tout simplement la distribution de nourriture – sont des pratiques et espaces où l’on fait de la politique. Dans quel sens ? Il s’agira alors de revenir sur la définition de ce « faire de la politique », en soulignant comment ces pratiques et ces espaces sont rendus possibles par l’engagement collectif ; comment se met en place un processus collectif de lutte pour des ressources publiques, ainsi qu’une interpellation sur la distribution et l’utilisation de ces ressources ; comment ces pratiques et espaces vont de pair avec un travail pédagogique visant à reconnaître les ressources obtenues pour répondre aux besoins matériels comme des droits conquis par la mobilisation collective, plutôt que des dons octroyés par l’État ou des agences non gouvernementales. Enfin, j’analyserai comment l’importance de ces pratiques ne réside pas uniquement dans « ce qui se fait » (la cantine, la maison, la nourriture, l’argent pour l’intervention médicale), mais aussi et surtout dans le « comment cela se fait ». Ces analyses seront développées à partir d’une recherche ethnographique réalisée depuis 2015 avec une coopérative de vendeuses et vendeurs ambulants développant leur activité dans le train San Martin, une ligne métropolitaine de Buenos Aires. Cette coopérative fait partie de la Confédération de travailleurs de l’économie populaire (CTEP), une organisation fondée en 2011 afin de représenter en tant que syndicat une population croissante et très hétérogène généralement classée dans les statistiques en tant qu’« informels », « précaires », « chômeurs », « externalisés » ou « de subsistance ». Ce chapitre propose une lecture alternative sur les relations entre reproduction sociale et engagement politique qui cherche à mettre en relation les luttes quotidiennes pour gagner et soutenir la vie et les luttes politiques qui y sont impliquées. À partir de réflexions anthropologiques et de l’économie féministe, je propose une lecture de la coopérative des vendeurs et vendeuses du train dans le cadre plus large de la Confédération des travailleurs de l’économie populaire (CTEP) en tant que processus de production de pratiques collectives de soin et de bien-être collectif, qui garantissent la soutenabilité de la vie dans un sens large aussi bien matériel qu’émotionnel ou affectif, y compris les possibilités objectives et subjectives d’imaginer le futur ou de créer des projets pour l’avenir. Par la suite, à partir d’une reconstruction de deux scènes ethnographiques, je reviendrai sur la définition du faire politique pour se concentrer sur les modalités de politisation des « besoins matériels » d’engagement collectif qui se mettent en place.