INVESTIGADORES
POBLETE Lorena Silvina
congresos y reuniones científicas
Título:
La gestion de la pitié. L'administration des aides sociales dans une région rurale de l'Argentine
Autor/es:
LORENA POBLETE
Lugar:
MATISSE-Université de Paris I, Paris, Francia
Reunión:
Congreso; État et Régulation Sociale. Comment penser la cohérence de l'intervention publique ?; 2006
Institución organizadora:
MATISSE-Université de Paris I
Resumen:
Le travail de terrain réalisé en trois périodes, dans années 1995, 1997 et 1999, nous a permis d´être témoins du bouleversement des conditions de travail et de vie des habitants de la région de Barrancas, à Mendoza, Argentine. Le passage accéléré et chaotique du modèle paternaliste de gestion au modèle de management a brouillé les repères des travailleurs ruraux. Ils sont passés d´une situation de pauvreté connue et maîtrisée, à une situation d´instabilité dans laquelle les ressources basiques leur manquaient. C´est à ce moment, qu´ils s´adressent à un État Sociale au bord de la faillite, pour demander de l´aide. Ce-ci, n´ayant pas prévu l´accueil d´une demande massive d´aides sociales, met en place un système complexe pour l´assignation d´aides existantes. Encadré dans une politique de la pitié , ce système incarne une nouvelle bureaucratie de la gestion d´aides sociales. L´objectif de ce travail est donc d´analyser l´expérience des travailleurs ruraux confrontés à ce mécanisme bureaucratique de partage d´aides sociales, en l´occurrence, d´aides alimentaires. Barrancas est une commune rurale de la région de Mendoza, au Centre Ouest de l´Argentine. Elle est principalement une région viticole, isolée à cause des problèmes de transport et de communication. Elle accueille des importantes caves à vin. L´organisation du travail dans la région fut, jusqu´aux années 90, réglée par le modèle paternaliste, caractérisée par une position paternaliste du patron, complémentaire au statut du « contratista de vignobles ». Ce statut du travailleur rural, spécifique des régions viticoles, naît en 1973, pendant le troisième mandat de Perón. La loi 20.589 définit un statut particulier de travailleur, résultat d´une combinaison entre le salarié classique et le petit entrepreneur. Le contratista signe un contrat d´une année avec le propriétaire, pour lequel il acquiert le droit à « travailler personnellement ou avec sa famille » une parcelle déterminée. Le contratista est autonome dans la gestion du travail. L´employeur a l´obligation de lui donner un logement et de lui procurer les matériaux nécessaires pour le déroulement des activités agricoles. Le contratista reçoit en échange un salaire minimum mensuel, conforme aux conventions collectives de travail, sur les 10 mois de l´année agricole. Également, il bénéficie des protections sociales propres à tous les salariés. Néanmoins, il partage avec son employeur les risques de l´activité agricole, car le gros de ses revenus correspond au pourcentage de bénéfices produits par la récolte. Ce type de contrat de travail permit le développement d´un mode paternaliste de rapport employeur/employé, dont on pourrait identifier trois caractéristiques : la personnalisation du rapport patron/contratista, le binôme travail/maison et le protectorat du patron . Dans les années 90, ce modèle est remplacé par un modèle différent de management. Ce dernier se présente comme le corollaire du modèle d´Ajustement Structurel consolidé dans le pays à partir de la Loi de Convertibilité . Dans la région de Barrancas, on peut observer un double processus qui contribue à la reformulation des rapports de travail existants, et par conséquent, des rapports sociaux. D´une part, l´État engage une politique de reconversion de la production vitivinicole auparavant destinée au marché interne, désormais réservée à l´exportation. D´autre part, la crise vécue par le secteur vitivinicole dans les années 80, empêche les petits et moyens producteur d´investir dans une telle reconversion. Les seuls acteurs capables d´investir furent les grands groupes économiques nationaux et des entreprises étrangères (Françaises et Chiliennes, principalement). Dans un contexte de parité peso/dollar, visant le développement d´une vitiviniculture destinée au marché international, les nouveaux propriétaires restructurèrent l´organisation productive. L´incorporation des nouvelles technologies montra la nécessité de réduire le nombre de travailleurs, en les remplaçant par des ouvriers plus qualifiés. L´objectif de minimiser les coûts de production, mais aussi de rompre avec ce modèle paternaliste amena les entreprises à substituer les contratistas par de travailleurs autonomes. La catégorie travailleurs autonomes fut créée en 1955, pour regrouper les professions libérales, et leur donner une place précise dans le système de sécurité sociale argentin. Elle conduit les travailleurs indépendants à assumer leurs propres charges sociales. À niveau fiscal, les « travailleurs autonomes » sont conçus comme entrepreneurs de petites entreprises. L´embauche sous ce statut devient une sorte de sous-traitance. Les travailleurs autrefois « dépendants » deviennent des fournisseurs « autonomes » de services. Cette situation bénéfique pour les entreprises, précarise davantage les conditions de travail et de vie des travailleurs ruraux de la région. Les coûts élevés des cotisations exigées aux travailleurs autonomes, ainsi que la précarité et l´instabilité du travail agricole journalier, ne permettent pas à tous les travailleurs de s´inscrire en tant que tels. À peu près un travailleur sur dix est enregistré comme autonome. Le travailleur inscrit fait, donc, une facture pour le travail des neuf autres. Il s´agit d´une sorte de prêt-nom. En contrepartie, ceux-ci lui payent le pourcentage correspondant aux cotisations du système de protection sociale et aux impôts. Ils fonctionnent comme de « fausses » coopératives de travail. Il semblerait qui s´opère un retour à la socialité primaire dans l´actualisation des liens, les plus fortes : liens de parenté et de voisinage. Dû au coût des cotisations, l´échange de factures est une pratique basée sur des rapports de confiance. Avoir recours à des factures prêtées devient la seule tactique qui permet aux travailleurs ruraux de récupérer une place incertaine dans ce marché de travail. Le remplacement du modèle paternaliste pour ce modèle de management signifie, non seulement, la transformation de l´organisation de la production vitivinicole, mais aussi la mutation des rapports sociaux existants. Il s´agit du passage de la pauvreté stable à l´instabilité dans la pauvreté. Dans la pauvreté stable d´autre fois, sous le règne du paternalisme, les travailleurs ruraux comptaient sur les protections attachées au statut de contratista, et parmi elles, sur le droit au logement. Même si la situation économique des contratistas se présentait, quelques fois, difficile à cause d´une mauvaise récolte, ils pouvaient toujours avoir recours à l´aide du patron. Le temps rythmé sur les dix mois de salaire et sur la prime de récolte permettait aux travailleurs ruraux de maîtriser de leur avenir. Depuis la vente généralisée des propriétés vitivinicoles, l´embauche de travailleurs autonomes transforme cette pauvreté stable en instable. L´instabilité s´accompagne d´une forte vulnérabilité et un manque de ressources pour faire face aux nouveaux aléas : travailler au jour la journée, trouver de factures, trouver un logement. Dans ce contexte, que Kleinman appellerait de souffrance sociale, les travailleurs ruraux ont perdu, en même temps, les supports sociaux issus du contrat de travail et du protectorat du patron. Ce changement s´est produit dans une période très courte, entre 1997 et 1999. Lors de nos entretiens, les travailleurs n´avaient pas encore saisi l´ampleur des transformations, ni la durabilité de cette situation d´instabilité. Pour la plupart, celle-ci semblait momentanée. Ils ne se reconnaissaient pas donc comme étant de pauvres à part entière, mais appauvris par le manque de travail stable. Un manque qui, selon eux, devrait se combler à la brièveté. Dans cette impasse, ils font appel aux aides sociales disponibles, peu nombreuses et mal adaptées à cette nouvelle réalité. Les programmes d´aide sociale mis en place dans la région sont simplement des programmes d´aides alimentaires. Face à la pénurie des aides sociales, l´assignation de celles-ci devient un enjeu majeur. La bureaucratisation de la souffrance ne fait donc que multiplier la souffrance de travailleurs ruraux. Les différentes étapes de la procédure de demande d´aide contribuent ainsi, à ce que Kleinman appelle la « routinisation » de la souffrance. ?La souffrance sociale résulte de ce que font subir aux gens, les pouvoirs politiques, économiques et institutionnels, et réciproquement, de la manière dont ces formes de pouvoir en elles-mêmes influencent les réponses aux problèmes sociaux.? La déclaration de la souffrance, avec leur mise en scène, et la vérification de la souffrance, avec la visite, se présentent en tant que lieux d´expression d´une situation nouvelle de pauvreté, encore illisible pour les travailleurs ruraux. Ces derniers sont contraints de faire un récit misérabiliste d´une misère vécue différemment pour eux. C´est ce récit misérabiliste qui devient la clef d´accès à un système d´aides sociales bureaucratisé.