Mise en scène et désaveu du locuteur dans l'Argumentum Ornithologicum de Borges

CÁMPORA, MAGDALENA

Argumentation et Polyphonie: de Saint-Augustin à Robbe-Grillet, Marion Carel (Dir.)

L'Harmattan

Lugar: Paris; Año: 2012; p. 85 - 103

À une première lecture, l´Argumentum Ornithologicum laisse une forte impression de parodie : Borges chercherait à imiter, en s´en moquant, les arguments ontologiques ; il sème en conséquence son texte de paralogismes et d´erreurs de raisonnement plus ou moins évidentes. Cependant quand on relit l´Argumentum, et malgré l´effet intuitif d´imposture, il est difficile de déterminer clairement quelles sont les marques textuelles et les maladresses logiques qui sous-tendent la mystification. La bibliographie qui traite du sujet s´évertue à chercher les prétendues erreurs de raisonnement du texte alors que ces erreurs, si erreurs il y a, sont extrêmement difficiles à saisir. Afin de mieux comprendre l´effet de moquerie et de distance par rapport à ce qui est dit, peut-être convient-il de poser autrement le problème et, au lieu de se centrer sur l´enchaînement des propositions, de se tourner vers la voix qui surgit du texte. Il nous semble en effet qu´il y a une duplicité, au sens littéral du terme, dans cette première personne du singulier qui formule la démonstration : à un certain moment le ton change ; ce changement de ton s´accompagne d´un changement de locuteur (et d´un changement d´ethos). Pour développer cette idée, nous aurons recours à la distinction que fait Oswald Ducrot entre locuteur premier et locuteur second. Nous essayerons de caractériser l´ethos de ces deux locuteurs et de montrer en quoi ils sont opposés : nous pensons en effet que cette opposition est à l´origine, d´une part, de l´inévitable impression d´exercice raté que laisse l´Argumentum Ornithologicum, et qu´elle motive, de l´autre, la distance et l´effet de moquerie qui circulent souterrainement tout au long du texte.