Pierre Clastres et le probleme de l'emergence de l'Etat

CAMPAGNO, MARCELO

Paris

Simposio; Colloque Pierre Clastres et nous. La révolution copernicienne et la question de l’État; 2009

UNESCO

Sociétés sans Etat, sociétés contre l’Etat. Mais alors, comment surgit l’Etat ? Clastres n’avait pas trouvé la clé permettant de résoudre un tel paradoxe. Et par manque de certitudes, avait préféré la prudence : « qu’est-ce qui a fait que l’Etat a cessé d’être impossible ? […] Mystère, provisoire peut-être, de l’origine » (1974, 174-175). La question posée par Clastres – comme un défi, comme une tâche à affronter – fait partie de son héritage. Toutefois, plus de trente ans se sont écoulés depuis sa mort précoce mais les réflexions qui l’ont pris en compte sont encore très peu nombreuses. La raison à cela correspond indubitablement à l’hégémonie de l’évolutionnisme dans les études sur l’émergence de l’Etat : selon une telle doctrine, les chefs non étatiques se transforment lentement en puissants rois comme s’il s’agissait d’un passage plus ou moins inscrit dans l’essence même du devenir social. Mais, dans la ligne de Clastres, ce passage est impossible, car la spécificité politique même des sociétés non étatiques empêche que le pouvoir politique se sépare du corps social. Nous soutiendrons dans cette présentation que ce caractère indivisible des sociétés non étatiques vient du fait que la parenté opère ici comme logique dominante. Et dans ce sens, nous proposerons l’idée que l’Etat ne peut surgir à l’endroit où la parenté domine, mais plutôt dans les espaces interstitiels non soumis à ses régulations. En partant de cette prémisse, nous considérerons trois scénarios interstitiels qui pourront favoriser l’apparition de liens étatiques : 1) celui des guerres de conquête entre des communautés préalablement autonomes, où la résolution des conflits implique une certaine forme de contrôle permanent des vaincus par les vainqueurs ; 2) celui des contextes urbains initiaux, entendus comme domaines socialement hétérogènes qui résultent de processus de concentration de populations de diverses provenances ; et 3) celui de certain sociétés dans lesquelles il existe des formes de leadership cosmique qui se définissent complètement en dehors de l’ordre parental. Nous proposerons que ces trois scénarios, non nécessairement incompatibles entre eux, permettent de penser à l’émergence de l’étatique comme dynamique qui émerge en extériorité par rapport à une logique de la parenté qui, dès lors, n’est plus éliminée mais subordonnée à la nouvelle logique étatique.