INVESTIGADORES
HUBERT Matthieu Pierre
capítulos de libros
Título:
Retrait fort ou retrait faible : les pesticides et leurs alternatives
Autor/es:
FREDERIC GOULET; ALEXIS AULAGNIER; MATTHIEU HUBERT
Libro:
Faire sans, faire avec moins. Les nouveaux horizons de l'innovation
Editorial:
Presses des Mines
Referencias:
Lugar: Paris; Año: 2022; p. 113 - 126
Resumen:
L´un des défis soulevés par le retrait ou la réduction de l´usage de certaines technologies est celui des alternatives disponibles. Il est en effet crucial pour les usagers ou les professionnels affectés par ce retrait de disposer de solutions permettant de pallier l´absence, effective ou programmée, de certaines technologies. L´une des figures qui vient spontanément à l´esprit est celle de la substitution ou du remplacement. Elle consiste en l´introduction d´une technologie permettant de remplir les fonctions de la technologie utilisée jusqu´alors, en lieu et place de cette dernière. La substitution, le remplacement et la mise au point d´alternatives sont ainsi des figures étroitement associées au retrait ou à la mise en cause des technologies ; il s´agit de remplacer autant que de retirer, de définir des points de passage alternatifs autant que des points de passage à éviter [Goulet & Vinck, 2012]. La substitution [Gomart, 2002 ; Nouguez, 2017] et le remplacement [Cinçon, 2010] ont été étudiés comme des phénomènes sociologiques. Certains travaux, comme ceux sur les transitions sociotechniques [Geels & Schot, 2007] ou les promesses technoscientifiques [Joly, 2013], ont également abordé les mécanismes à l´oeuvre dans ces phénomènes. Certains auteurs se sont pour leur part attachés à montrer comment l´idée même de substitution faisait débat parmi les acteurs impliqués dans la recherche d´alternatives technologiques [Aulagnier & Goulet, 2017]. Le remplacement d´une technologie par une autre est en effet parfois perçu comme une solution simpliste à laquelle devrait être préférée une vision systémique faisant évoluer de concert une diversité de facteurs [Aulagnier, 2020]. Dans ce chapitre, nous proposons d´explorer ces phénomènes de retrait, réduction et substitution en nous penchant sur les politiques publiques qui visent à faciliter l´émergence de technologies alternatives aux pesticides agricoles, alternatives souvent définies par le terme de contrôle biologique (voir Encadré 1). Nous suivrons ici une double hypothèse. La première est que l´idée relativement binaire de substitution ne rend pas justice à la diversité et la complexité des opérations menées dans le cadre des politiques visent à favoriser l´émergence de telles technologies. La seconde est que la définition des alternatives est étroitement liée au travail de problématisation qui est mené autour des technologies incriminées. Par problématisation, on entend ici non seulement la définition du problème public, mais aussi, dans la tradition de la théorie de l´acteur-réseau et de la sociologie de la traduction [Callon, 1986], la construction conjointe du problème et des arrangements sociotechniques (connaissances, standards, technologies, acteurs, etc.) permettant d´envisager sa résolution. L´étude de plusieurs cas nationaux - France, Argentine, Brésil - nous offrira une variété de situations permettant de mettre à l´épreuve ces hypothèses. Dans chaque cas, nous nous focaliserons de façon symétrique sur la nature des problématisations conduites autour des pesticides agricoles, et sur les activités de définition des technologies considérées comme légitimes ou illégitimes par l´action publique. Nous nous intéresserons plus particulièrement sur ce deuxième point aux activités de catégorisation [Bowker & Star, 1999] menées par les acteurs publics en charge de définir les technologies à promouvoir et celles à évincer. Ces activités de catégorisation présentent une dualité inhérente, entre disqualification et qualification positive [Conein, 2001], ou entre distinctions et regroupements [Quéré, 1994]. Catégoriser, c´est en effet non seulement poser des frontières au sein desquelles sont établis des critères d´équivalence et de stabilité, mais c´est aussi introduire des différenciations et des démarcations ; être dans une catégorie, c´est ne pas être dans une autre [Bowker & Star, 1999]. Nous chercherons donc à appréhender comment les frontières entre les catégories considérées comme légitimes ou illégitimes ont été instaurées, et comment elles résultent de problématisations contrastées. Ce chapitre sera organisé de la façon suivante : dans une première partie, nous commencerons par expliciter les ressorts et les manifestations de l´intérêt qu´ont exprimé récemment la France, l´Argentine et le Brésil pour les produits de contrôle biologique en agriculture. Dans une seconde partie, nous reviendrons sur les formes de problématisation dont les pesticides ont fait l´objet dans les trois pays, avec des degrés d´intensité entrainant des velléités de retrait plus ou moins marquées. Nous distinguerons sur ce point des logiques de retrait fort et des logiques de retrait faible. Cela nous amènera dans une troisième partie à analyser comment ces problématisations d´intensités variées se sont traduites par des politiques publiques fondées sur des catégories contrastées, renvoyant elles-mêmes à des logiques relevant du remplacement ou de la coexistence .