Les faux salariés. Les travailleurs indépendants de la fonction publique

LORENA POBLETE

EHESS, París, Francia

Jornada; Injonctions à l'individuation et supports sociaux des individus; 2004

CEMS-EHESS

La question concernant les injonctions à l´individuation et les supports sociaux des individus nous invite à réfléchir aux conséquences du processus d´individualisation observé depuis une trentaine d´années. Différentes perspectives ont été choisies pour décrire ce processus. Nous prendrons ici celle d´Ulrich Beck. D´après cet auteur, on assiste à un changement de la modernité. Dans ce qu´il appelle la première modernité, "l´individu s´est constitué en consonance avec un certain nombre de rôles associés à différentes institutions." Dans la deuxième modernité (ou modernité réflexive), l´individualisation des situations et des trajectoires d´existence transforme les parcours biographiques en ´autoréflexifs´. "Ce qui était le produit de déterminations sociales devient objet de choix et d´élaboration personnelle." Il s´agit d´une dénormalisation de rôles, en raison de "la mise en retrait des institutions classiques : État, classes sociales, la famille, les groupes ethniques." L´individu, devenu "nomade", doit créer soi-même les règles du jeu. "L´individualisation signifie donc, un processus de désenchâssement sans re-enchâssement" . Ce qui apparaît comme nouveauté dans la deuxième modernité est la "démocratisation du processus d´individualisation" et "le fait que certaines conditions dans la société, favorisent ou renforcent l´individualisation (le marché du travail, l´exigence de mobilité et de compétence, les lois du travail et les droits sociaux, les systèmes de provision sociale et de pensions, etc.)." Cette destandarisation du travail a comme conséquence l´individualisation de tâches et de trajectoires professionnelles. Les travailleurs sont contraints de faire preuve de mobilité, d´adaptabilité, de créativité, de disponibilité. "Chaque individu doit prendre en charge lui-même les aléas de son parcours professionnel devenu discontinu, faire de choix, opérer à temps les reconversions nécessaires. À la limite ici, le travailleur est censé se faire l´entrepreneur de lui-même." Cette exigence de flexibilité devient une exigence d´autonomie. L´individu "est en quelque sorte obligé d´être libre, sommé d´être performant, tout en étant largement livré à lui-même. Car les contraintes, évidemment, n´ont pas disparu, et elles ont même plutôt tendance à s´accuser dans un contexte de concurrence exacerbée et sous la menace du chômage." Comme le rappel Robert Castel, les individus ne sont pas tous armés de la même manière face à ces injonctions à l´individualisation. Les supports sociaux dont ils disposent ne sont pas les mêmes. Pour certains, ces exigences de responsabilisation et d´autonomie se révèlent libératrices, pour d´autres fortement contraignantes. Ce dernier est le cas de travailleurs indépendants de la fonction publique, que nous allons ici développer. Les salariés du secteur public ont toujours disposé des protections sociales. La stabilité de l´emploi, les garanties en termes d´assurance maladie et de retraite, et les différents types d´allocations, ont fait partie de leurs supports sociaux. Depuis quelques années, on observe au sein de l´administration publique la prolifération d´un autre type de statut : le travailleur autonome. Les travailleurs indépendants se trouvent encadrés comme s´ils étaient des salariés, réalisant des activités qui étaient auparavant réalisées par des fonctionnaires, mais sans aucune des garanties attachées à ce statut. L´objectif de cette communication sera alors, de comprendre : qu´est-ce que d´être "employé de l´État" n´ayant pas droit aux garanties historiquement attachées à ce statut ?